Cerises a l'eau de vie

Les etals du marche rengorgent de beaux fruits, et surtout de cerises .

A 2 euros le kilo, aucune raison de s'en priver surtout qu'une idee me trotte dans la tete, une envie de faire (pour la premiere fois), des cerises a l'eau de vie.


Ces fruits maceres, c'est la scene memorable d'un  petit vieux monte sur une chaise au grand effroi de sa femme, qui se hisse pour atteindre tout en haut de l'armoire,  le bocal de cerises.

Souvenirs de ces pages lues il y a si longtemps, avec l'accent du Midi par  la maitresse d'ecole venue de Provence.

Pendant ce temps, un drame terrible se passait à l’autre bout de la chambre, devant l’armoire. Il s’agissait d’atteindre là-haut, sur le dernier rayon, certain bocal de cerises à l’eau-de-vie qui attendait Maurice depuis dix ans et dont on voulait me faire l’ouverture. Malgré les supplications de Mamette, le vieux avait tenu à aller chercher ses cerises lui-même ; et, monté sur une chaise au grand effroi de sa femme, il essayait d’arriver là-haut... Vous voyez le tableau d’ici, le vieux qui tremble et qui se hisse, les petites bleues cramponnées à sa chaise, Mamette derrière lui haletante, les bras tendus, et sur tout cela un léger parfum de bergamote qui s’exhale de l’armoire ouverte et des grandes piles de linge roux... C’était charmant.

Premiere etape....

 Et tout en me servant, le vieux me disait à l’oreille d’un air de gourmandise :

— Vous êtes bien heureux, vous, de pouvoir en manger !... C’est ma femme qui les a faites... Vous allez goûter quelque chose de bon.


Hélas ! sa femme les avait faites, mais elle avait oublié de les sucrer. Que voulez-vous ! on devient distrait en vieillissant. Elles étaient atroces, vos cerises, ma pauvre Mamette... Mais cela ne m’empêcha pas de les manger jusqu’au bout, sans sourciller

Lettres de mon moulin [Les vieux], Alphonse Daudet